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Synode sur la famille : Que penser de la “théologie du corps” ? - Nouvelles de Chrétienté Nº 155

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JMJ


A Priest provided me with a copy to this article in French noting that it provides a more balance view point on the Theology of the Body. This may be why an updated version of Don Pietro Leone's article  "The Marriage Crisis in the Catholic Church" was issued after some criticism.

Eventually, I hope to translate it into english.

P^3


Plusieurs ouvrages ont été publiés à la veille du second Synode sur la famille (4-25 octobre 2015),
pour contrer les propositions progressistes sur l’accès à la communion des divorcés civilement remariés, lors du précédent Synode (5-19 octobre 2014). Déjà en septembre 2014, cinq cardinaux avaient fait paraître Demeurer dans la vérité du Christ (Artège éd.), répondant doctrinalement
aux erreurs exposées par le cardinal Walter Kasper, lors du Consistoire extraordinaire des 20-21 février 2014.

Cette année, ce sont onze cardinaux qui défendent l’indissolubilité du mariage en présentant une pastorale du mariage qui n’entend pas contredire la doctrine de l’Eglise, dans un livre intitulé Le Mariage et la famille dans l’Eglise catholique. Onze cardinaux apportent un éclairage pastoral
(Artège éd.). Comme le reconnaît le coordinateur de cette publication, Mgr Winfried Aymans,
l’ouvrage offre « des contributions de types totalement différents. Certains auteurs fondent les
conséquences pratiques sur des réflexions fondamentales de nature philosophique ou théologique,
d’autres les présupposent et concentrent leur attention sur les expériences pratiques ». Ceux qui fondent leur propositions pastorales sur une réflexion philosophique et théologique, font parfois référence à la « théologie du corps » de Jean- Paul II, ainsi le cardinal Joachim Meisner qui écrit que cette « théologie du corps fait apparaître que la doctrine de l’Eglise est une voie vers  l’accomplissement et le bonheur » (p.102), également le cardinal Camillo Ruini qui voit cette « théologie du corps » comme un approfondissement de la Constitution conciliaire Gaudium et spes (nn. 47- 52) où se trouve « une nouvelle approche du mariage et de la famille, très personnaliste, mais sans rupture avec la vision traditionnelle ». (p.140) Peut-on considérer cette nouvelle approche « très personnaliste » véritablement dans la continuité de la « vision traditionnelle » ? C’est à cette question que répond l’étude de l’abbé Jean-Michel Gleize, professeur d’ecclésiologie au séminaire d’Ecône, en opérant toutes les distinctions nécessaires sur une question aussi importante.

INTRODUCTION

1. « Peu avant le début de l’AnnéeJubilaire de la Miséricorde, l’Eglise célèbrera le Synode Ordinaire consacré aux familles, pour fairemûrir un vrai discernement spirituelet trouver des solutions concrètesaux nombreuses difficultés et auximportants défis que la famille doit affronter de nos jours. Je vous inviteà intensifier votre prière à cette intention,pour que même ce qui noussemble encore impur, nous scandalise ou nous effraie, Dieu – en le faisantpasser par son “heure” – puissele transformer en miracle » 1. De telspropos ont suscité une certaine inquiétude, parmi les catholiques.Quelques-uns voudraient s’appuyersur les enseignements pontificaux de Jean-Paul II, pour contre carrerce qu’ils considèrent commeune véritable révolution, opposée à la doctrine catholique du mariage.Ces enseignements de Jean-Paul II font référence à une « théologie ducorps », désormais en vogue dans les milieux conservateurs. Que faut il en penser ? Comme toujours, les faux problèmes ne doivent pas nous cacher le vrai. Commençons donc par déblayer le terrain. Les faux problèmes.


2. La théologie du corps est souvent présentée de façon plus ou moinsfaussée, voire caricaturale, aussibien par certains de ses défenseursque par certains de ses adversaires.
3. Les uns la présentent comme la seule vraie solution pour sortir de l’obscurantisme et affronter la modernité.L’obscurantisme, c’était lamorale rigide imposée par l’Eglised’autrefois, morale du devoir quiétouffe les aspirations au bien-êtredes coeurs et des corps. La modernité,c’est le souci d’épanouir les personnes,qui devrait entraîner uneremise à jour des positions de lamorale catholique. La théologie ducorps serait donc une théologie dela libération, mais cette fois-ci nonplus en matière économique et sociale…

4. Les autres la présentent commela mise en application du modernismede Vatican II dans le domainede la morale conjugale. Ils ydécèlent l’inversion des fins du mariage,une morale personnaliste etles plus sévères (qui sont souvent lesplus acharnés) vont même jusqu’àévoquer un crypto-érotisme pourbien-pensants, qualifiant les audiencesdu mercredi de « théologiepornocratique ».Le vrai problème.

5. Ces analyses restent très superficielles.Le constat fait jadis sur sonpropre terrain par un illustre savantn’a rien perdu de son actualité ; celui-ci dénonçait un certain genred’explications faciles, « où se complaîtnotre paresse, rebutée qu’elleest par les études pénibles ». Il ajoutaitque, lorsque l’on prend la peinede les étudier en profondeur, leschoses « sont reconnues bien moinssimples que ne le disent nos vuestrop précipitées ». Et il concluait parcet avertissement : « Gardons-nousd’une généralisation non assise surdes bases assez multipliées, assezsolides » 2. Retenons cette idée queles études sont pénibles et qu’ellesrebutent notre paresse… Bien souvent,les vues superficielles, car précipitées,sont à la fois le pur produitet le faux alibi de cette « peur de sefatiguer ». Précisons alors quelle estl’intention qui inspire notre étude :nous voudrions donner ici une vueaussi précise et aussi juste que possiblede la théologie du corps, etpour cela nous appuyer sur « desbases assez multipliées, assez solides». Ces bases sont désormais ànotre disposition grâce au professeurYves Semen, qui a publié auxEditions du Cerf la traduction françaiseentièrement révisée des catéchèsesde Jean-Paul II sur l’amourhumain 3.Plan de l’étude.


6. Bien évidemment, nous allons endonner ici non pas une analyse détaillée,en nous appuyant explicitementsur toutes les bases disponibles.Nous allons en donner unesynthèse, c’est-à-dire non pas un résumé,mais une vue d’ensemble logiqueet suffisamment précise, pouren indiquer les idées maîtresseset les principales conséquences. Ils’agira donc d’une généralisation,mais d’une généralisation qui reposesur les bonnes bases. Nous laprésenterons de la manière la plusclaire possible en adoptant la méthodemise au point par Aristoteet saint Thomas, et qui consiste àse poser les quatre questions fondamentales,grâce auxquelles il est toujourspossible de faire le tour à peuprès complet d’un sujet : ces quatrequestions correspondent aux quatrecauses. D’où vient la théologie ducorps (cause efficiente) ; quel est sonbut (cause finale) ; en quoi consistet-elle (cause matérielle) ; commentl’évaluer (cause formelle). Les troispremières questions nous préparentà la dernière. Nous allons d’abordétudier cette théologie pour ellemême,en essayant de voir ce qu’elleest dans ses principes. Nous essayeronsensuite de la situer par rapportaux enseignements du Magistère etde la théologie traditionnels, quiont valeur de référence. Ce ne serapas tout, parce que, bien évidemment,nous pourrons être conduitsà réagir. Dans une dernière partie,il faudra donc envisager quelquesconclusions d’ordre très pratique.

7. D’où notre plan qui tâchera de répondreà cinq questions :1. D’où vient la théologie du corps ?2. Où va-t-elle et quel est son but ?3. En quoi consiste-t-elle ?4. Comment l’évaluer ?5. Que faire ?

1 – D’OÙ VIENT LA THÉOLOGIE DUCORPS ?

8. C’est l’oeuvre personnelle de Jean-Paul II. Dès son ordination sacerdotaleen 1946, Karol Wojtyla entreprendune pastorale du mariage,doublée d’une réflexion théologiquesur le sens de l’amour humain.Professeur à l’Université catholiquede Lublin, il centre son enseignementde la morale autour de la personneet de l’amour humain. Sonlivre Amour et responsabilité paru en1960 est le fruit de cet enseignement.

9. Par la suite, évêque de Cracovie,Mgr Wojtyla développe cette réflexionet de cette époque date unmanuscrit qu’il réutilisera une foisélu au souverain pontificat. Le résultaten sera l’ensemble des 129 catéchèses,dispensées lors de l’audiencegénérale du mercredi, entre le 5 septembre1979 et le 28 novembre 1984.10. Cette réflexion est restée sousle boisseau pratiquement jusqu’à lamort de Jean-Paul II. C’est à partirde 2005 qu’elle sera vraiment exploitéeet répandue dans toute la catholicité,grâce à la création, au sein del’Université Pontificale du Latran,d’un Institut Pontifical pour lesétudes sur le mariage et la famille.Une chaire spéciale de l’Universitéest alors consacrée à la théologie ducorps. Des chaires de ce genre vontprogressivement être fondées dansle monde entier.

2 – QUEL EST SON BUT ?

11. Il y a plusieurs buts, ce qui veutdire qu’il y a des distinctions à faire.

12. Le premier but est celui deKarol Wojtyla et il est à la fois pastoralet théologique. Lors des premières années de son sacerdoce, vicairedans une paroisse de Cracovie,il célèbre 160 mariages en 28 mois,c’est-à-dire un peu plus d’un par semaine,en moyenne. Mais cette pastoralen’est qu’une occasion, à la faveurde laquelle prend forme uneréflexion. A la base de cette réflexion,il y a l’idée que « les jeunesde son époque n’accepteraient bientôtplus une morale fondée simplementsur la dialectique permis-défendu, une morale du devoirhéritière de l’impératif catégoriquekantien ; ils n’accepteraient la moraleque dans la seule mesure où ellese présenterait comme le moyend’un plus grand épanouissement humain, d’une plus grande réalisationde soi » 4. Il y a ici deux idées conjointes : d’une part une volontéde s’adapter aux nouvelles mentalitésde l’époque présente, pour leur faire accepter la morale de l’Eglise ;d’autre part, la volonté d’envisagerla morale d’un point de vue différent,qui correspond précisément àce qu’attendent les catholiques del’époque moderne. Ce but n’est quela mise en pratique au niveau de lamorale du mariage et de l’amourhumain, d’une problématique nouvelleque le concile Vatican II a voulumettre en pratique à tous les niveauxde la doctrine de l’Eglise.Le but de la théologie du corps estdonc l’un des aspects particuliers dugrand but qui a inspiré Jean XXIIIet Paul VI et qui inspirait déjà bonnombre de pasteurs à la veille desannées soixante. On peut résumerce but en disant qu’il a conduit leshommes d’Eglise à réviser (ou à « revisiter», comme le dit Benoît XVIen 2005) certains présupposés sousjacentsaux positions doctrinales del’Eglise, pour les besoins de la pastorale.Il s’agit donc de maintenirles mêmes conclusions qui exprimentles mêmes exigences (unité etindissolubilité du mariage, refus dela contraception et de l’avortement,refus aussi des différentes perversionscontraires à la nature) mais enles faisant découler de principes différents.

13. Le deuxième but est celui des disciplesde Karol Wojtyla, et c’est celuiqui est explicité par le professeurSemen et son équipe. C’est la volonténon plus de faire accepter la moralede l’Eglise mais de la défendre.Car de fait, loin d’avoir réussi à rallierles esprits du monde moderne,le discours de l’Eglise s’est trouvéconfronté à une recrudescence durelativisme intellectuel et moral. Ladoctrine de l’Eglise relative au mariageet à la famille n’est plus seulementl’objet de l’indifférence ; elleest contestée et on lui oppose uneautre vision de l’amour humain quivoudrait servir de fondement à uneautre vision de la sexualité, et cesdeux visions voudraient aussi combattreet exclure la vision de l’Eglise.Il s’agit donc toujours de maintenirles mêmes exigences, et de les fairereposer sur les mêmes nouveauxprincipes mis au point par Jean-Paul II ; mais il s’agit en outre de lesfaire valoir contre les principes quis’y opposent et qui sont revendiquésau nom de la pensée moderne. Onest donc passé d’une optique pastoraleà une optique défensive ou apologétique.Et le paradoxe, qui seraitamusant s’il n’y avait pas là quelquechose de tragique, est que cettethéologie du corps, devenue désormaisdéfensive, entend faire valoirses droits à l’encontre même des offensivesdu deuxième successeur deJean-Paul II.

3 – EN QUOICONSISTE-T-ELLE ?

3.1 – Son présupposé : une nouvelle définition de la personne.

14. Toute la théologie traditionnelle fait référence à la définitionphilosophique de la personne élaboréepar Boèce (480-526) : la personneest « une substance individuelle,de nature raisonnable ». Lepoint important à retenir (car il faittoute la différence entre cette définitiontraditionnelle et la nouvelledéfinition de Vatican II) est que lanotion de personne inclut celle denature. La personne se définit enfonction de la nature : elle est un sujetqui doit agir conformément auxexigences de sa nature. Cela signifieque ces exigences imposent certainesnécessités, qui vont conditionnerla liberté et les choix de lapersonne. La nature exige en particulierun certain type de perfection.La personne n’est donc paslibre de choisir ou non cette perfection Elle a seulement la liberté dechoisir les meilleurs moyens pouratteindre ce qui est exigé par sa nature.Dans cette optique, l’activitésexuelle est le moyen requis pourassurer la transmission de la vie humaine,comme l’exige la nature. Etle mariage est le cadre de vie naturelqui rend possible l’accomplissementraisonnable de cette transmission,avec tout ce qu’elle implique,c’est-à-dire non seulement la procréationmais aussi l’éducation.Voilà qui explique pourquoi le mariageest d’abord en vue de la procréation,d’un point de vue naturel,même s’il exige aussi le support mutuelet l’amitié entre les conjoints.

15. A la base de la théologie ducorps, nous trouvons une nouvelledéfinition de la personne. Cellecifigure au coeur de ce qui restel’un des documents principaux duconcile Vatican II, la constitutionpastorale Gaudium et spes 5. Le numéro24, §3 de ce document dit eneffet : « L’homme, seule créature surterre que Dieu a voulue pour ellemême,ne se trouve pleinement quedans le don sincère de lui-même ».Ce passage sera constamment citépar Jean-Paul II, à un rythme croissant,tout au long de son pontificat.

16. La nouvelle définition introduitepar le dernier concile envisagel’homme comme un être fait pour ledon de lui-même et qui trouve dansce don l’accomplissement de ce qu’ilest. Dans le texte de Mulieris dignitatem,Jean-Paul II reprend et explicitecette définition en disant :« Etre une personne signifie tendre àla réalisation de soi, qui ne peut s’accomplirqu’à travers un don désintéresséde soi ». Le point important àretenir, là encore, est que cette définitionn’inclut pas la notion de nature.Comment alors justifier lesexigences du mariage ? La théologiedu corps a justement pour objet derépondre à cette question et de tirerainsi, sur le plan moral et politique,quelques-unes des conséquences decette nouvelle définition de la personne.Il est clair en effet, commele souligne très justement le professeurSemen que « Avec le recours àGaudium et spes, n°24, §3, on passe del’énoncé de la norme éthique en référenceà la loi naturelle au fondementde cette norme à partir dudonné anthropologique fondé sur ledon » 6. On observe ce changementde perspective dans le Memorandumde Cracovie. Ce rapport fut élaborépar une commission de théologienset de médecins, que Mgr Wojtylaavait créée entre autres pour contribuerà la rédaction de l’encycliqueHumanae vitae. Ce rapport, transmisà Paul VI en février 1968, argumentele refus de la contraception àpartir des nouveaux principes personnalistes,et non plus à partir desexigences de la nature.

3.2 – La nouvelle définition dela personne à la racine de lanouvelle définition dumariage.

17. Jusqu’ici, la philosophie etla théologie traditionnelles distinguaientdeux types d’amour.L’amour se définit en généralcomme le fait de vouloir le bien, etdonc comme le fait de donner. Toutdépend ensuite pour qui ce bien estvoulu, à qui l’on donne : l’amour deconcupiscence est l’amour où l’onveut le bien pour soi-même tandisque l’amour de bienveillance est celuioù l’on veut le bien pour un autreque soi. Ces deux amours ne s’excluentpas, mais ils doivent se compléter.Et ce qu’on appelle l’amitiéest un amour de bienveillance. Elledoit être à la base du mariage, quiréalise une forme d’amitié, où chacundes conjoints donne à l’autrele bien que représente la possibilitéde transmettre la vie, ainsi queles enfants, qui sont le fruit de cettetransmission.

18. Dans son livre Amour et responsabilité,Karol Wojtyla introduit unetroisième forme d’amour qu’il appellel’amour sponsal (et qui ne seréduit pas à l’amour des gens mariés).Cet amour sponsal est uneforme plus poussée de l’amour debienveillance, où le bien que l’onveut à autrui est sa propre personne.Ce don de soi est la forme la plusaccomplie de l’amour, qui donnetout son sens aux autres formes del’amour. Cet amour sponsal peutse vivre dans le mariage, et c’estalors un amour sponsal conjugal (ondonne sa personne à une autre personnehumaine) ; il peut se vivreaussi dans la vie consacrée et c’estalors un amour sponsal virginal (ondonne sa personne à Dieu). De plus,puisque la personne se réalise justementcomme telle dans le don désintéresséde soi, il y a un lien trèsétroit entre l’amour sponsal et lapersonne. L’amour sponsal est eneffet l’accomplissement parfait de lapersonne. Car la personne n’est paspleinement accomplie tant qu’ellen’est pas donnée à une autre. Elleest donc ce qu’elle est dans ce donde l’amour sponsal.

19. Karol Wojtyla redéfinit ainsi lanotion même de l’amour, et avecelle celle du mariage, dans une optiquepersonnaliste. Le mariage estle don réciproque de personne à personne,c’est-à-dire comme une communionde personnes. Cet amoursponsal conjugal est la norme à lalumière de laquelle il convient d’apprécierla valeur du mariage. « Toutela doctrine traditionnelle sur le mariageétait construite sur la théoriedes fins : la fin première du mariageétait la procréation et l’éducationdes enfants ; la fin secondaire dumariage était le secours mutuel desépoux ou la consolation mutuelledes époux, voire le remède à laconcupiscence. L’accent était doncmis sur la procréation et la dimension communionnelle et sexuelle del’amour était reléguée parmi les finssecondaires, d’où l’idée que l’Eglisenégligeait cette dimension pourtantessentielle de la vie conjugale.Wojtyla ne reprend pas cette classificationclassique, même s’il ne laremet pas en cause. Mais plutôt qued’affirmer que la fin première du mariageest la procréation, il préfère affirmerque l’amour est la norme dumariage, c’est-à-dire que le mariageest une oeuvre de donation mutuelle des personnes. Pour que l’amoursoit vrai, pour qu’il réalise l’essencemême de l’amour, il faut qu’il soitdon total de soi et acceptation dudon total de l’autre. Bien évidemment,si l’amour est tel, si l’amourest don total donné et don total reçu,il ne peut que respecter les finalitésunitives et procréatives dela sexualité humaine et par conséquentil ouvre comme naturellementsur une paternité et une maternitéresponsables » 7. Autrementdit, on retrouve les mêmes vérités(le mariage correspond à la procréationet au support mutuel) maiselles s’articulent différemment, enraison de principes différents. Dansl’optique traditionnelle, ces deuxvérités découlent de la nature humaine,qui rend nécessaire le mariagecomme le moyen d’assurer laprocréation et le support mutuel,le support mutuel étant lui-mêmeune résultante de la procréation etla procréation étant l’une des exigencesde la nature humaine. Lemariage est donc l’expression d’unamour de bienveillance où les épouxse veulent l’un à l’autre le bien quereprésente la transmission de la vie,avec les enfants qui en résultent.Dans la nouvelle optique introduitepar Jean-Paul II, ces deux véritésde la procréation et du supportmutuel découlent de l’idée renouveléede l’amour, redéfini commele don réciproque des personnes.Dans Gratissimam sane, Jean-Paul IIdit que ce sont les exigences du dondes époux qui justifient l’indissolubilitédu mariage 8, l’ouverture à lavie 9, l’éducation 10. La famille estdonc fondée sur cette communiondes personnes.

3.3 – Les conséquences.

20. Une redéfinition théologiquedu mariage – Dès les originesde l’humanité, le mariage et lafamille sont voulus comme l’imagede la Sainte Trinité. La communiondes personnes humaines est en effetle sacrement, c’est-à-dire le signeet l’image de la communion desPersonnes divines. Dans la lecturequ’il donne du récit de la Genèse,Jean-Paul II insiste sur le fait quenos premiers parents sont « l’imageet la ressemblance de Dieu » précisémenten tant qu’ils sont de sexesdifférents, masculin et féminin, carc’est cette différence qui appelle lacomplémentarité sexuelle et rendainsi possible la communion despersonnes, à l’image de celle duPère, du Fils et du Saint-Esprit.

21. Une nouvelle approche de lasexualité – Par conséquent, chezl’homme, la différence sexuelle apour première raison d’être de révélerle mystère spirituel de Dieu.L’homme est à la ressemblance deDieu précisément en tant qu’il estmasculin et féminin. C’est pourquoi,la sexualité humaine est foncièrementautre que la sexualitéanimale : celle-ci est asservie àla reproduction et s’inscrit dansune optique purement biologique,déshumanisante. Dans le livre dela Genèse, la différence sexuellen’est mentionnée qu’à propos del’homme, parce que cette différenceest le moyen pour l’hommed’imiter et de reproduire la communiontrinitaire des personnes.Le corps, avec la sexualité, est l’expressionsensible de la personne etdu fait qu’elle est essentiellementdon de soi. Le sexe est la manifestationphysique de la vocation del’homme à être image de Dieu et lasexualité réalise cette vocation. « Lecorps, qui exprime la féminité pourla masculinité et vice versa, la masculinitépour la féminité, manifestela réciprocité et la communion despersonnes. Il l’exprime dans le doncomme caractéristique fondamentalede l’existence personnelle » 11 .

22. Le péché originel et la rédemptionLe péché contraire àl’idéal du mariage consiste à perdrede vue l’amour sponsal pour lui substituerl’amour de concupiscence, quiutilise l’autre à son profit commeun objet. La sexualité est ravalée àson niveau charnel et biologique,purement animal. La honte consécutiveà la nudité s’explique parceque l’homme aurait perdu de vuela valeur signifiante et sacramentellede la sexualité. L’Incarnationdu Fils de Dieu qui vient remédierà cette situation est nuptiale, car leChrist épouse la nature humaine,pour se donner à elle et pour qu’ellese donne à lui et rétablir ainsi levrai sens de la sexualité humaine.La Rédemption consiste à rétablirl’amour sponsal dans sa réalitéde don et à réhabiliter ainsi la personnecomme telle. Le rédempteurest donc en tant que tel un époux,car la Rédemption est nuptiale. Elleest aussi sacrificielle, mais elle estd’abord et avant tout nuptiale. Carle sacrifice du Rédempteur est ledon que la Personne du Christ faitd’elle-même à l’Eglise et à l’humanité,et ce don appelle le nôtre, celuide nos personnes humaines. LaCroix est le lieu où se consomme cedon : c’est le lieu de la consommationd’un mariage, le lieu d’un actesponsal… Et l’Eucharistie en est lesigne et la reprise.

23. Le célibat sacerdotal et lavie religieuse – Dans cette optique,l’amour sponsal conjugaln’est pas le seul ; il y a place pourun amour sponsal virginal. La vocationau célibat réalise le don de lapersonne humaine à la Personne divine,et par là même elle anticipesur l’éternité. Les vies sacerdotaleet religieuse sont donc elles aussisigne et image de la communion desPersonnes divines, quoique d’uneautre manière que par la sexualité.Cela reste toujours une vocation audon de la personne.

24. La régulation des naissanceset la chasteté conjugaleLe mariage est l’image dela communion trinitaire, mais ilne l’est pas n’importe comment.Le don des époux doit s’accomplirdans la dépendance du don de Dieu,puisque le don des époux imite etsignifie le don des Personnes divines.La maîtrise de soi fait partiedu don de soi. Voilà qui justifie lachasteté dans le mariage, le respectde certaines « lois ». Mais ces loisne sont pas d’abord l’expression desexigences de la nature ; elles exprimentles exigences du don de la personne

Le don réciproque des personnes,pour être un véritable don,doit rester ouvert à la vie.

4 – COMMENT L’ÉVALUER ?

25. Cette théologie du corps représenteune pensée parfaitement cohérente,un système parfaitementordonné, où tout s’enchaîne logiquement,à partir d’un principe debase. Nous y retrouvons toutes lesconclusions qu’enseigne la théologiede la morale traditionnelle : unité etindissolubilité du mariage, exigencede la fidélité des conjoints et refusde la fornication, de l’adultère et dudivorce, exigence de transmettrela vie et nécessité de familles nombreuses,refus de la contraception,de l’avortement, exigence de la paternitéresponsable et de la chastetéconjugale, exigence aussi du célibatdans le sacerdoce et la vie religieuse.Et surtout, cette théologie du corpsdonne, du moins dans l’esprit de sesadeptes, le moyen efficace de s’opposerau mariage pour tous, à toutesles perversions sexuelles, ainsi qu’àtoutes les formes immorales de manipulationgénétique.

26. Le point important, qui représenteune difficulté, est que toutecette théologie est suspenduecomme à son point de départ à unenouvelle définition de la personne :la personne est don de soi. Cettenouvelle définition relègue au secondplan la notion de nature, quiétait au point de départ de toute lamorale traditionnelle. Nous avonsdonc affaire à une théologie personnalistedu mariage. Cette théologiene nie pas le principe d’uneloi naturelle ni l’exigence de la procréation; mais elle relègue cela àl’arrière-plan, dans la dépendanced’une autre vérité qui passe au premierplan et qui est la vérité du donde soi. Sans doute, trouve-t-on dansla constitution Gaudium et spes n°50,paragraphe 1, une référence asseznette à la hiérarchie traditionnelledes fins du mariage. Il est dit eneffet que « Le mariage et l’amourconjugal sont d’eux-mêmes ordonnésà la procréation et à l’éducationdes enfants ». L’encyclique HumanaeVitae cite ce passage (n°9, in fine), cependantque cet aspect traditionnelest relu par Jean-Paul II dans unetoute autre logique. Car, ne l’oublionspas, cette théologie du corpsest l’oeuvre de Jean-Paul II, qui dépassedonc ici la pensée du Concile,à moins qu’il ne l’explicite et la clarifie.

27. Le point sur lequel nous pourrionsattaquer de front cette nouvellethéologie et montrer qu’elleest incompatible avec la morale traditionnelleest le suivant. Le mariagen’y est plus défini comme uneréalité de droit naturel, dans uneoptique d’abord éthique et philosophique,c’est-à-dire comme une exigencede la nature, perçue par la raisonde tout homme. Le mariage estdéfini comme une réalité d’ordresurnaturel, dans une optique théologique,comme une exigence de laréalité trinitaire. Le mariage est eneffet une communion de personneshumaines, homme et femme, dontla raison d’être est de signifier lacommunion des Personnes divines.Il est essentiellement sacrement etsigne, le don de soi des hommes reflétantle don de soi de la Trinité.Si l’on pousse cette logique jusqu’aubout, on ne peut pas percevoir la nécessitédu mariage si l’on n’a pas lafoi. Il faudrait donc être chrétienpour pouvoir comprendre et envisagerl’idée du mariage, du moins pouren comprendre toute l’idée. Or, celaest faux et contraire à tout l’enseignementtraditionnel de la philosophieet de la théologie. Le mariageest d’abord une réalité de droit naturel,accessible à la raison et quis’impose à tout homme. Le Christn’a fait que l’élever à la dignité de sacrement.Le sacrement de mariage,qui est d’ordre surnaturel, présupposele mariage tout court, qui estd’ordre naturel. Et il l’est parce qu’iln’est pas d’abord le signe de l’amourtrinitaire ; il est avant cela et fondamentalementune exigence de lanature, une union que réclame latransmission de la vie humaine naturelle.

28. Nous dirions volontiers quecette théologie est comparable àune grande maison, à un immeublede plusieurs étages, en tous pointssemblables à l’édifice de la théologietraditionnelle. On y retrouvenon seulement le même aspect extérieur,mais la même répartition intérieure.Seulement, les fondationsne sont plus du tout les mêmes.L’ancien édifice reposait sur du roc,tandis que le nouveau repose sur dusable. Le roc, c’est l’idée de la natureavec toutes ses conséquences.Le sable, c’est l’idée de la personnevue comme don de soi et altérité,comme relation pure. Pour l’insil donne l’impression d’être solide etil fait recette : les locataires affluentet l’on affiche complet. Mais il està craindre que tôt ou tard la fragilitédu fondement ne s’avère fatale,au détriment de tous.

5 – UNE CONCLUSION TRÈS PRATIQUE 2

9. Faut-il dès à présent avertir leslocataires qu’ils devraient évacuerl’édifice, puis le dynamiter ? Pasnécessairement. Mais n’allons pasnon plus élire nous-mêmes domiciledans ce nouvel immeuble et restonschez nous. Essayons pour l’instantd’entretenir des relations debon voisinage et restons circonspects.Et prêts à intervenir lorsquela fragilité des fondements fera sentirses conséquences : nous pourronsalors proposer aux habitants del’immeuble bâti par Jean-Paul II devenir trouver refuge dans le nôtre,bâti sur le roc par les papes d’avantVatican II.

30. Autrement dit (c’est le sens àpeine caché de la parabole) :- défendons les bonnes conclusionset n’allons pas forcément torpillerceux qui les défendent, dans la mesuremême où ils les défendent, defaçon très pratique et militante,sans forcément expliciter les principesmalheureusement faux surlesquels elles reposent ;- évitons cependant d’être nousmêmesdupes de cette théologiequi reste très insuffisante et mêmecontestable dans ses fondements ;- chez les autres, n’encourageons paset combattons même le cas échéant,avec discernement, ceux qui voudraientmettre en évidence les fauxprincipes du personnalisme, sur lesquelsrepose toute la théologie ducorps, toute la morale conservatricede Jean-Paul II. Ces principessont faux et délétères ; c’est ici queles initiatives prises par le professeurSemen et ses disciples, dans lecadre des formations qu’ils proposent,doivent trouver leur limite etsusciter notre réserve ;- aidons et encourageons les autres àredécouvrir la notion de nature, quiest au fondement de toute la morale,naturelle et même surnaturelle ; encourageons-les à remettre cette notionà la place qui lui revient, au premierplan, à la place du point dedépart de tout le reste ; c’est le rocqui doit reprendre la place du sable ;il s’agit donc de désintoxiquer lespartisans de la lutte pour la vie.

Abbé Jean-Michel Gleize

NOTES

1 François, Homélie du 6 juillet 2015 àGuayaquil, en Equateur.

2 Henri Fabre, Souvenirs entomologiques,livre 

3, chapitre 4, p.63 à 67.3 Jean-Paul II, La Théologie du corps, Cerf,2014, 784 pages. Dès 2004, le professeurYves Semen publiait La Sexualitéselon Jean-Paul II, aux Presses de laRenaissance, et présentait l’enseignementwojtylien comme une véritable« bombe à retardement ».

4 Yves Semen, « Introduction » dans Jean-Paul II, La Théologie du corps, Cerf, 2014,p.19.

5 Le texte de cette constitution doitbeaucoup au cardinal Wojtyla. Cf. YvesSemen, « Introduction » dans Jean-Paul II, La Théologie du corps, Cerf, 2014,p.40-41. C’est d’ailleurs le futur Jean-PaulII qui réussit à sauver ce texte, qui avaitfailli être abandonné à la veille de la troisièmesession du concile, en octobre 1964.Il propose plus de quatre-vingts amendementspour corriger le texte initial et obtientla reprise en main du texte pour laquatrième session.

6 Yves Semen, « Introduction » dans Jean-Paul II, La Théologie du corps, Cerf, 2014,p.51.

7 Yves Semen, « Introduction » dans Jean-Paul II, La Théologie du corps, Cerf, 2014,p.21-22.

8 Jean-Paul II, Lettre Gravissimam sane du2 février 1994 aux familles, n°11 : « Le donde la personne requiert par nature d’êtredurable et irrévocable. L’indissolubilitédu mariage découle en premier lieu del’essence de ce don : don de la personneà la personne. Dans ce don réciproqueest manifesté le caractère sponsal del’amour ».

9 Jean-Paul II, Lettre Gravissimam sane du 2 février 1994 aux familles, n°11 : « Quand,dans le mariage, l’homme et la femme sedonnent et se reçoivent réciproquementdans l’unité d’« une seule chair », la logiquedu don désintéressé entre dans leurvie. Sans elle, le mariage serait vide, alorsque la communion des personnes, édifiéesuivant cette logique, devient la communiondes parents. Quand les époux transmettentla vie à leur enfant, un nouveau tuhumain s’inscrit sur l’orbite de leur nous,une personne qu’ils appelleront d’un nomnouveau. […] Le processus de la conceptionet du développement dans le seinmaternel, de l’accouchement, de la naissance,tout cela sert à créer comme un espaceapproprié pour que la nouvelle créaturepuisse se manifester comme don, carc’est ce qu’elle est dès le début » ; n°12 :« Tout homme et toute femme se réalisentpleinement par le don désintéressé d’euxmêmeset, pour les époux, le moment del’union conjugale en constitue une expériencetout à fait spécifique. C’est alorsque l’homme et la femme, dans la véritéde leur masculinité et de leur féminité,deviennent un don réciproque. Toute lavie dans le mariage est un don ; mais celadevient particulièrement évident lorsqueles époux, s’offrant mutuellement dansl’amour, réalisent cette rencontre qui faitdes deux une seule chair (Gn 2, 24). Ilsvivent alors un moment de responsabilitéspéciale, notamment du fait de la facultéprocréatrice de l’acte conjugal. Les épouxpeuvent, à ce moment, devenir père etmère, engageant le processus d’une nouvelleexistence humaine qui, ensuite, sedéveloppera dans le sein de la femme ».

10 Jean-Paul II, Lettre Gravissimam sanedu 2 février 1994 aux familles, n°16 : « Enquoi consiste l’éducation ? Pour répondreà cette question, il faut rappeler deux véritésessentielles : la première est quel’homme est appelé à vivre dans la véritéet l’amour ; la seconde est que touthomme se réalise par le don désintéresséde lui-même. Cela vaut pour celui quiéduque comme pour celui qui est éduqué.L’éducation constitue donc un processusunique dans lequel la communion réciproquedes personnes est riche de sens ».

11 Jean-Paul II, Catéchèse du 9 janvier 1980,n°4, citée par Semen, ibidem, p.59.

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